Dissolution : un an après, Macron toujours sûr de son coup (mais pas de la suite)
“Toi aussi, tu penses que c’était une connerie ?” Ainsi s’interrogeait Brigitte Macron, un jour de décembre 2024, au moment de raccompagner un vieil ami sur le perron de l’Elysée. De quoi convaincre celui-ci, s’il en avait douté : six mois après la décision fatidique de son mari, alors que le pays se se trouvait […]
“Toi aussi, tu penses que c’était une connerie ?” Ainsi s’interrogeait Brigitte Macron, un jour de décembre 2024, au moment de raccompagner un vieil ami sur le perron de l’Elysée.
De quoi convaincre celui-ci, s’il en avait douté : six mois après la décision fatidique de son mari, alors que le pays se se trouvait dépourvu de Premier ministre après le renversement du gouvernement Barnier (et tout aussi dépourvu de budget), le couple présidentiel n’était toujours pas convaincu d’avoir commis une erreur en dissolvant l’Assemblée nationale au soir des élections européennes du 9 juin.
Emmanuel Macron s’apprêtait pourtant à faire son premier véritable mea culpa quelques jours plus tard, en direct et en stéréo, à l’occasion de ses vœux télévisés de fin d’année. “Je dois bien reconnaître ce soir que la dissolution a apporté pour le moment davantage de divisions à l’Assemblée que de solutions pour les Français”, lancera-t-il finalement, lisant son texte avec le ton légèrement compassé qu’on lui connaît lorsqu’il n’improvise pas.
Tout était sans doute dans le “pour le moment”, qui, diraient les mauvais esprits, trahissait une forme de déni de réalité. Quoique, ses fidèles y ont peut-être vu la marque de son éternel optimisme : “Emmanuel, c’est le mec qui sort avec 20 centimes du casino, convaincu qu’il va se refaire”, disent souvent de lui Alexis Kohler, son ancien secrétaire général et bras droit, ou Philippe Grangeon, son ex-conseiller spécial, à qui il parle toujours régulièrement.
Le premier avait quelques doutes sur la décision de son chef, mais n’a pas cherché à l’empêcher. Le second, prévenu le jour même, lui avait fait porter un courrier dans la journée pour tenter de le dissuader.
Questions de temps
La suite du propos présidentiel de ce 31 décembre au soir ne fut pas moins révélatrice: “Si j’ai décidé de dissoudre, c’était pour vous redonner la parole, pour retrouver de la clarté et éviter l’immobilisme qui menaçait. Mais la lucidité commande de reconnaître qu’à cette heure, cette décision a apporté plus d’instabilité que de sérénité, et j’en prends toute ma part”.
Difficile de le dire plus clairement : pour le chef de l’Etat, qui, justifie-t-il, voulait avant tout “redonner la parole” aux Français, les torts sont… partagés. Après leur vote massif en faveur des extrêmes au soir du 9 juin (le RN, Reconquête et la France insoumise cumulaient 46% des voix), ces derniers – les électeurs, donc – ont conduit l’Assemblée nationale à une tripartition paralysante, et le pays tout entier dans l’inquiétude – “à cette heure” en tout cas.
“Tout le monde lui a dit qu’il fallait battre sa coulpe”, explique a posteriori l’un de ses conseillers officieux. Le président aura donc fini par concéder ce semi-mea culpa, sans conviction profonde, pour la com.
Au début de ce mois de décembre 2024, le déni du président ne concerne d’ailleurs pas que la situation politique. Sa façon d’aborder la question des finances publiques interroge aussi, alors que la presse est en boucle depuis des semaines sur l’incroyable dérapage du déficit public depuis 2023, et que l’exécutif semble pieds et mains liés. “Ce qui me frappe au moment de la négo du budget, c’est que Macron continue à penser en dynamique“, confie à POLITICO un ancien ministre, remercié depuis. Comprendre : le chef de l’Etat, qui se veut toujours “agile”, réactif, comme le rappelle l’une de ses anciennes collaboratrices – les mauvaises langues diraient qu’il ne tranche jamais qu’au pied du mur – n’a pas encore complètement intégré qu’il ne tient plus les manettes.
Emmanuel Macron avait-il d’autre choix que de renvoyer les Français immédiatement aux urnes, après la claque des européennes ? Pas de son point de vue. S’il ne l’avait pas fait ce soir-là, il aurait dû s’y résoudre à l’automne, au moment du vote du budget. Et qu’importe si Yaël Braun-Pivet, ou encore Gabriel Attal, Premier ministre à l’époque, n’ont jamais cessé de contester cette affirmation. Le second était même venu voir Emmanuel Macron, en tête à tête, le 31 mai 2024, soit dix jours avant les élections, pour le convaincre qu’un accord était négociable avec la droite sur le budget.
Rien n’y aura fait : “Il reste persuadé qu’il valait mieux la provoquer que la subir”, confie aujourd’hui l’un de ses anciens ministres, qui s’était opposé à la décision présidentielle de dissoudre à l’époque, en vain.
Même Gérald Darmanin, qui fait partie de ceux qui ont encouragé le président, tâche aujourd’hui de le faire oublier, comme le concédait récemment l’un de ses amis à POLITICO. C’est que le ministre de l’Intérieur de l’époque a joué avec le feu.
Dans un texto envoyé au président autour du 7 juin et dans lequel il plaidait pour une dissolution “tout de suite, à 20 heures”, au soir des européennes, alors que les sondages étaient plus inquiétants que jamais pour le camp présidentiel, l’élu du Nord aurait ainsi terminé par cette (mauvaise) prédiction : “Mais je sais que vous ne le ferez pas”.
“Macron bout. Ça le rend dingue”
Un an après, certains dans le camp macroniste trouvent tout de même quelques bons arguments au président. “Il y a eu 66% de participation, 67 au second !” rappelle par exemple l’un de ses fidèles, pourtant pas dans le secret de la décision à l’époque. Comprenez : la mobilisation exceptionnelle des Français pour ces élections législatives anticipées, malgré la quasi-absence de débats de fond, prouverait que son intuition initiale était la bonne.
Qu’importe si le véritable calcul politique du chef de l’Etat, énoncé au soir du 9 juin devant ses lieutenants réunis en urgence à l’Elysée, s’est avéré totalement à côté de la plaque : “Et bon courage à la gauche pour s’unir en trois semaines !” avait-il lancé à ses interlocuteurs médusés. Avant de conclure par cette provocation, que nous résumait en substance, à l’été 2024, un participant à cette fameuse réunion : “Et puis, mieux vaut Bardella à Matignon que Le Pen en 2027 à l’Elysée…”
Qu’importe encore si, un an plus tard, l’hypothèse Le Pen à l’Elysée n’a perdu en vigueur qu’à la faveur de sa condamnation en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du RN.
Qu’importe enfin, si le président est à l’évidence tourmenté par la situation politique. “Il est énervé. Il s’agace de tout”, observe ainsi un proche. De l’avis général, ce n’est pas ce que fait son Premier ministre, François Bayrou, qui le met en rogne. Mais le fait qu’il ne fasse rien qui lui ferait courir le moindre risque de chuter : “Macron bout. Ça le rend dingue” insiste le même.
Alors, le chef de l’Etat songe-t-il vraiment à se débarrasser de François Bayrou, comme le veut la rumeur ? Ils sont plus nombreux à dire qu’Emmanuel Macron fait le calcul que son Premier ministre ne tiendra pas deux ans avec le “boulet judiciaire” qu’est l’affaire Bétharram pour lui qu’à parier sur un tel scénario, vu la complexité de la relation entre le président et le patron du MoDem : “Il a pas réussi à lui dire non [au moment de sa nomination], alors il arrivera pas à le remercier. Il va vouloir que les autres fassent le boulot”, prédit le même proche cité précédemment, à regret. Dit autrement : le président compterait secrètement sur l’Assemblée nationale pour bouter François Bayrou hors de la rue de Varenne, avec une motion de censure.
Spleen au Château
S’il n’est pas homme à regarder dans le rétroviseur, certains proches d’Emmanuel Macron ont décelé une pointe de lassitude chez leur champion, qu’ils voient avant tout préoccupé par la défense de son bilan, et donc conscient que la suite n’est plus vraiment entre ses mains.
Le 28 avril dernier, il décorait plusieurs de ses anciens collaborateurs proches à l’Elysée, parmi lesquels Sylvain Fort, son ex-plume et conseiller en communication, Clément Beaune, son ancien conseiller Europe et ancien ministre, deux hommes avec qui il a eu maille à partir. Désormais, lors de ces cérémonials à l’Elysée, une petite annonce est passée avant l’arrivée du président : merci de faire passer vos cartes de visite et autres demandes à son chef de cabinet, qui passera parmi vous, et d’éviter les selfies.
Mais pas ce soir-là. On est entre amis, entre témoins des débuts. De fait, les discours, plus personnels qu’à l’accoutumée, exhalent un fort parfum de nostalgie. Et si les sourires et la joie de se retrouver sont là, les anciens collaborateurs trouvent à ceux qui sont toujours à l’oeuvre auprès du “PR” à l’Elysée un air “crépusculaire”, confiera l’un d’entre eux à POLITICO.
La page des grandes manoeuvres est-elle pour autant tournée ? Quand certains le disent toujours tenté de nommer l’ex-LR Sébastien Lecornu à Matignon, d’autres prêtent à Emmanuel Macron le rêve de constituer, dans un futur proche, une véritable coalition incluant le PS. “[Bruno] Retailleau est la preuve par X qu’intégrer le gouvernement te fait exister politiquement. Donc pourquoi pas”, veut croire une ex-ministre qui le connaît bien, persuadée que la trajectoire du ministre de l’Intérieur pourrait convaincre quelques socialistes récalcitrants. “Non”, rectifie toutefois son ancien collègue mentionné plus haut, sûr de lui. “Il sait comme moi qu’il n’y a pas les conditions politiques pour qu’elle se réalise”.
Quant à une nouvelle dissolution, le président a juré face caméras qu’il n’y songeait pas, alors qu’il en retrouvera le pouvoir constitutionnel dans quelques jours (il y a débat sur la date exacte). Toujours est-il qu’il récupère une arme de dissuasion massive, alors que l’examen du budget après l’été exposera de nouveau le gouvernement à un risque de censure.
“Bien sûr qu’il y pense. C’est son dernier pouvoir”, tranche en privé François Hollande à ce sujet, pas convaincu par les déclarations publiques de son successeur. Et d’ajouter : “Sans doute d’ailleurs avec plus d’arguments qu’il y a un an”.